Au pays du soleil levant, il est impossible de dire non

La première chose qui interpelle un étranger lorsqu’il débarque sur l’archipel nippon, c’est la politesse des Japonais. Combien d’exemples d’amis français interloqués par la gentillesse et la serviabilité des Japonais dans la rue alors qu’ils cherchaient leur chemin, prêts à donner une demi-heure de leur temps même si leur anglais est très limité.Combien d’autres amis, ébahis par le calme qui règne dans les rues (pas un klaxon) ou la fluidité dans le métro, même aux heures de pointes dans deux des plus grandes gares de transit au monde, Shibuya et Shinjuku. Sans espérer déceler les secrets de la politesse japonaise, en voici quelques pistes d’interprétation et surtout quelques illustrations.

Uma Thurman maitrise pas mal le Dōmo

Dōmo – Arigatō – Dōmo arigatō – Dōmo arigatō gozaimasu -Dōmo arigatō gozaimashita

On dit souvent que les Français usent de nombreuses formules de politesse. Gad Elmaleh a su l’illustrer avec beaucoup d’humour. Mais s’il décidait de s’inspirer de la politesse des japonais, on atteindrait, je pense, des sommets. Essayez d’abord de dire merci en japonais. Il y a bien-sur le Dōmo (rappelez-vous Kill Bill/Black Mamba face à Sonny Chiba/Hattori Hanzo), Dōmo s’emploie en fait lorsque vous êtes face à un intime, un subalterne ou lorsque vous êtes client dans un magasin mais il est totalement prohibé dans tous les autres cas de figure. Lorsqu’il est associé à arigatō qui a la même signification, vous avez franchi un niveau de politesse supérieur. Pour les gourmands pas a l’aise dans l’apprentissage des langues, vous pouvez d’ailleurs remplacer Dōmo arigatō par « Donne moi du gâteau », vous serez très bien compris !! Cela dit avec Dōmo, arigatō ou Dōmo arigatō, nous n’en sommes encore qu’à un simple merci peu formel. Pour être sur de ne pas commettre d’impair, ajoutez y un gozaimasu pour former un Dōmo arigatō gozaimasu, vous vous rapprocheriez alors du Merci beaucoup mais surtout vous éviteriez de paraitre rustre a la plupart de vos interlocuteurs. Vous croyez en avoir fini ? Bien-sur que non. Gozaimasu signifie en vieux japonais et en langage formel, être ou exister. Mais il s’associe dans le japonais moderne à de nombreux mots pour rendre les formulations plus polies : ô tanjobi omedeto (joyeux anniversaire) peut ainsi se transformer en ô tanjobi omedeto gozaimasu plus solennel. Ohayô/salut, se transforme en Ohayô gozaimasu /bonjour etc. Mais comme il s’agit d’un verbe, il peut se conjuguer au passé sous la forme gozaimashita. Vous entendrez souvent ainsi à la sortie d’un magasin un vendeur vous adresser un Dōmo arigatō gozaimashita, il s’agira alors d’une formule encore plus polie (mais très courante) pour insister sur l’action/l’achat en l’occurrence  pour laquelle vous êtes remercié … bref, comme le diraient nos commerçants, bon courage et en vous remerciant !

L’excuse est presque une ponctuation

Dire que les Japonais ne sont pas particulièrement férus de leurs voisins de l’Empire du Milieu et que la réciproque est vraie, c’est assurément manier la litote. Certes on peut y voir de nombreuses raisons historiques (l’impérialisme japonais a laissé des traces et bien que déjà ancien, l’absence d’excuses limpides et officielles n’a pas aidé à les estomper – pensez même si la comparaison s’arrête là à la France et l’Algérie). Certes on peut également y voir l’avènement de l’économie chinoise qui a desormais dépassé son voisin nippon. Certes on peut y voir des raisons géostratégiques – pensez aux iles Senkaku/Diaoyu  – qui poussent les gouvernements respectifs à titiller la fibre patriotique, voire nationaliste. Mais il n’y a pas que cela. Si les deux pays ont des traditions qui encouragent l’individu à se fondre dans la collectivité, ils diffèrent clairement dans leurs rapports humains. Les Chinois, particulièrement ceux du sud, ont une tradition commerçante et on pourrait – je schématise volontairement – les comparer aux latins d’Asie. Ils ont des rapports humains très directs, sont de prime abord extravertis. Les Japonais, s’il fallait continuer l’analogie, seraient un mélange entre Suisses, Allemands, Anglais et Scandinaves (oui, je me rends bien compte que je fais de l’ethnologie de comptoir !). Mais au delà de toutes ces comparaisons, ils sont éduqués dans un tel carcan qu’ils font preuve à nos yeux d’une extrême timidité. Un exemple frappant sont les rapports homme/femme. Si les hommes français ont tant de succès auprès des Japonaises, ce n’est pas pour leur incroyable sex-appeal (désolé messieurs) mais c’est souvent parce qu’ils aiment exprimer verbalement et explicitement leurs émotions amoureuses. Les verbes aimer aisuru, ou tomber amoureux, koisuru, ne sont pratiquement pas utilisés au Japon, on les entend surement moins souvent que Je t’aime !

Mais pourquoi toute cette circonvolution ? Pour mieux vous faire comprendre pourquoi le Japonais offre ses excuses tous les temps. Les deux formes les plus courantes sont sumimasen et gomenasai. Il existe, également parmi d’autres, la forme shitsureishimasu, qui est à la fois une forme de salut solennel mais qui pourrait se traduite par « Excusez-moi d’etre impoli !« . Les excuses sont à ce point communes qu’elles se substituent souvent aux remerciements.Elles sont si fréquentes qu’on pourrait les assimiler à une ponctuation dans les conversations japonaises.

SalutJaponAsahiShimbun

Pour promouvoir un de leur dictionnaire, Iwanami Shoten (岩波書店), une maison d’édition japonaise, a réalisé cette publicité « Nihongo gokan jiten » (日本語語感の辞典), que l’on peut traduire par « dictionnaire des nuances du vocabulaire japonais ».
Sur la publicité ci-dessus, on voit les différents mots de vocabulaire pour signifier des degrés d’excuses différentes.
Ou comment demander pardon au Japon, de droite a gauche, de l’excuse légère à l’excuse la plus contrite:
fig1- Shitsurei (失礼) excusez-moi
fig2- Gomen (御免) je suis vraiment désolé
fig3- Sumanai (済まない) excusez-moi, je me suis vraiment mal conduit
fig4- Moshiwakenai (申し訳ない) je ne sais comment vous demander des excuses
fig5- Chinsya (陳謝) veuillez accepter mes excuses les plus profondes et les plus  sincères
fig6- Syazai (謝罪) la c’est le degré d’excuse ultime, il n’y a même plus de traduction française possible … si vous en êtes rendu là, mieux vaut quitter le Japon !
Merci au blog Gocha Gocha pour la traduction.

Plusieurs niveaux de langue

Vous l’aurez compris, selon son interlocuteur, le niveau de langue requis est différent. S’il est vrai que le vouvoiement existe en français, c’est clairement une des difficultés de l’apprentissage du japonais que de maitriser ces différents niveaux de langue. En dehors des multiples formules de politesse à maitriser, il existe deux manières de conjuguer les verbes, une formelle (en masu) et une pour les rapports avec les intimes ou dès lors qu’il y a un rapport de hiérarchie (age, client/vendeur, employeur/employé) mais si certains sont évidents, ces rapports ne sont pas toujours faciles à distinguer, entre amis ou connaissances par exemple. Et nombreuses sont aussi les particules comme O qui servent à rendre plus formelle l’acceptation du mot utilisé.

Au jeu du ni oui ni non

Vous êtes adeptes du jeu du ni oui ni non, vous êtes faits pour le Japon. Il existe bien un mot pour dire non, certes, mais dans la majorité des cas, vous froisserez, voire choquerez votre interlocuteur si vous lui apportez une réponse trop directe, particulièrement lorsqu’elle est négative. Une myriade de mots existe donc qui permettent de pratiquer l’euphémisme ou la litote dans tous les sens. Celui que vous apprendrez en premier, si vous venez vous installer au Japon, c’est incontestablement Chotto. La traduction la plus proche de Chotto est « un peu ». Mais si vous demandez un service à un Japonais et qu’il n’est pas en mesure de vous le rendre, il ne vous répondra jamais par la négative. Il commencera sa phrase par Chotto puis essaiera de vous faire comprendre par des voies détournées pourquoi il ne peut pas vous aider. La première fois, cela surprend car on pense que ce Chotto laisse une possibilité de réponse positive mais, pas du tout, il est juste là pour arrondir les angles. J’ai en mémoire comme tout gaijin ma première Chotto experience. Installé depuis quelques jours, un employé vient vérifier et mettre en place le câble télé dans notre appartement. Mon japonais quasi nul, son anglais au moins aussi mauvais, la compréhension se fait par gestes et les quelques rares mots que nous partageons. Au bout d’un temps, je sens qu’il essaie de me dire quelque chose, je l’encourage donc en disant qu’il peut essayer en japonais mais alors qu’il essaie de plus en plus vainement de m’expliquer quelque chose, mes tâtonnements sont vains.

Mais tandis que je cherche à traduire ce qu’il m’explique, soudainement le Chotto arrive ! Un long Chottooooooooooooooooo, répété plusieurs fois, et qui va s’accentuant ChoTOOOOOOOOOOOOOOO, s’accompagnant desormais d’une teinte rougeâtre qui empourpre tout le visage de mon interlocuteur alors que des gouttes de sueur commencent à perler de tout son corps. Je sens qu’il ne faut pas que j’insiste, que j’ai atteint le point de non retour. La technologie fait le reste, il traduit un mot sur l’application de son iphone : depuis cinq minutes, il essaie de me faire comprendre qu’il va descendre chercher le gardien pour faire traducteur/intermédiaire entre nous ! Il n’osait tout simplement pas y aller sans mon autorisation. Un bel exemple d’incompréhension interculturelle entre deux personnes voulant bien faire mais usant chacun de paramètres inconnus de l’autre. Bienvenue au Japon, le pays ou il est impossible de dire non !